Etant donné les soucis sur le forum, je n'ai pas pu lire ni m'imprégner de vos critiques...
En tout cas, je vous remercie. J'essairai tout de même de commenter vos critiques mais là, je n'ai pas le temps. Je fairai ça le plus tôt possible.
Pour ceux que ça intéresse, voici la der des ders, celle que j'ai soumis au concours. J'ai changé d'optique pour certaines informations et la chute, je l'espère, est moins obscure. Si ce n'est pas le cas, tant pis pour moi... ^^
Je changerai peut-être le texte en réponse aux commentaires d'Eä et de Belfe. Ca reste un texte que je mets de côté en vue d'un autre projet de plus grande envergure.
Bonne lecture.
La valse maîtresse
Si la ponctualité n'est pas votre fort, vous comprendrez l'état d'esprit qui pousse quiconque à accélérer le pas, à vérifier sans cesse l'heure qui tourne et à maudire en un murmure toutes les raisons de ce retard, à commencer par la personne en question. Si vous connaissez le monde du théâtre, vous comprendrez d'autant plus que la ponctualité doit être comme une seconde nature chez celui qui veut y prendre part. Aussi longtemps que le théâtre sera ce qu'il est, voilà une règle d'or qui, non tenue, vous fera jeter bien de l'argent par les fenêtres !
Puisque vous et le nouvel arrivant à demi en retard ne faîtes plus qu'un, marchez la tête haute mais faites tout de même attention où vous mettez les pieds. Une chute est si vite arrivée...
Au contraire, si vous vous enorgueillissez de votre haute aptitude à être toujours à l'heure, au point que l'Heure même est presque en retard comparée à votre humble personne, épargnez-leur vos coups d'œil réprobateurs, vos soupirs exaspérés. Regardez-les plutôt d'un air compatissant, vous qui êtes si bien installé, à l'abri de l'essoufflement. Ils sont davantage à plaindre que vous, les pauvres...
Là où vous avez été mené, l'endroit resplendit par sa singulière acoustique. Si vous cherchez l'adresse exacte pour y venir, le temps d'une soirée, vous devrez vous faire une raison : il a fermé ses portes. Vous auriez pu y admirer les signes distinctifs de l'esthétique du Second Empire sans pour autant ne pas remarquer les diverses influences dissimulées ça et là.
Mais trêve de bavardages qui n'intéressent que les connaisseurs et les gens de goût. D'ailleurs, l'un des apprentissages dispensé par le monde du théâtre, c'est qu'à un moment donné, le silence doit être de mise. Que l'on soit assis pour y voir représenter une pièce de théâtre ou un ballet, presque naturellement, le silence gagne chaque siège lorsque l'imminence de ce bon plaisir flotte dans l'air. Certes, le calme est souvent précédé d'une nuée intempestive de « chut » qui surgissent un peu mal à propos. Mais ne vous en occupez pas. Ces prodigieux bavards profitent une dernière fois de leur voix avant que le bâillon du ballet ne les réduise au silence.
Voilà un instant qu'un brouhaha en sourdine se déplaçait de la même manière. On y distinguait par bribe des conversations passionnées et des messes basses à peine dissimulées. L'attention était désormais portée droit devant soi. Le parterre était déjà à l'affût, déjà enclin à percer les secrets chorégraphiques des danses minutieusement exécutées. Il n'avait d'yeux que pour les premiers mouvements des ballerines qui virevoltaient en effleurant à peine le sol. En toile de fond, l'oreille attentive percevait les lamentations des violons. L'obscurité prenait le pas sur le jour, si ce n'est au centre de la scène, où un faisceau lumineux abritait le premier
pas de deux échangé entre Roméo et sa Juliette
A ce point, l'attention ne pouvait que décliner après avoir ressenti l'intensité d'un tel moment. Dans leur fléchissement, les infidélités faites à ce ballet n'avaient pu survenir que pour se reporter sur un ballet d'un tout autre ordre : incontrôlable, allant et venant sans cesse vers la même cible.
Ses œillades, à la fois interdites et bavardes, dansaient grâcieusement avec
lui, avec le danseur, puis avec la danseuse avant de trébucher sur ses propres doigts, fins et moites. Encore lui. Cette danse passionnée et effrénée répétait la même sphère que le tour piqué des ballerines. Assez ! Et dire qu'elle n'aurait pourtant pas dû être à cette place, les yeux rivés sur cet homme, scrutant chaque signe d'agacement ou au contraire de ravissement. Chacun de ses fébriles regards cherchait à la fois à attirer le sien et à demeurer dissimulé, tel un chasseur invisible à sa proie. Une seule stratégie doit prévaloir : garder les yeux rivés sur ce ballet, cette scène, ces danseuses légères qui s'activaient dans un entremêlement agencé au centimètre près. Décidément, c'est impossible. Tous ces tournoiements vertigineux lui donnaient la nausée et lacéraient ses entrailles, sans consolation possible. Voilà ces femmes et leurs partenaires qui s'affairaient et pourtant, c'était elle seule qui était exténuée... comme à l'apothéose des nuits d'ivresse qu'elle avait partagées avec cet homme.
Enfin, elle finit par détourner le regard et abandonna en un mouvement emporté sa tête sur le dossier de son fauteuil. Elle cramponna de ses mains les accoudoirs placés comme délibérément pour pallier son vertige. Pendant un instant, elle ne sut plus qui elle était mais finalement, presque avec tristesse, elle se souvint. Son prénom ? Audrey. Son crime ? Avoir agi en toute connaissance de cause, sans se soucier du pire.
Les conséquences de son acte, la vie les avait placées désormais en travers de sa route. Elle n'avait pourtant qu'une seule faute à son actif: avoir plu à un homme déjà lié par les liens sacrés du mariage. Cet amant ne se trouvait qu'à quelques mètres d'elle. Et l'ironie du sort avait voulu que sa femme, si vertueuse, si étrangère aux méfaits de son mari, soit placée à la droite de son époux, comme un appui en vue du tournant présent de sa carrière.
Audrey la regardait avec attention. La charitable moitié du bellâtre était aussi blonde qu'Audrey était rousse. On distinguait jusque ici la fraicheur de ses yeux bleus étincelants dans l'obscurité, ces deux véritables perles si différentes de l'indécence des iris aux teintes émeraude de la maitresse... deux gemmes complétées par le satin vert de sa robe où ses formes façonnées, si ardemment convoitées par cet homme volage, étaient à demi masquées.
Le prénom pourtant tant chéri de Søren lui était désormais insupportable, écœurant au possible. Elle l'avait tant désiré, peut-être davantage que lui ne l'avait désirée. Elle était parvenue à un point tel qu'elle n'avait plus envie de le voir. Seulement, elle était ici. Aux yeux du monde, le fait qu'une ballerine professionnelle assistât à la représentation orchestrée par Søren Abaelard, son ancien maître de ballet renommé, semblait être la chose la plus anodine au monde. C'était mal connaître leur intimité. Elle n'était pas pour ainsi dire une de ces maîtresses déchues ; au contraire, une femme comme elle, capable d'assouvir les désirs les plus inavoués de son amant, restait la maîtresse de ballet attitrée des fougues de l'alcôve.
Pourtant, depuis peu, Audrey avait décidé d'en finir avec ces entrevues monotones, avec ces caresses effleurées, avec ces baisers volés dans l'obscurité. Pour elle, une seule envie, aller de l'avant, et certainement pas hantée par une telle culpabilité. Leur relation avait dès le début été claire : ils n'attendaient l'un envers l'autre que l'assouvissement d'un bon plaisir que tous deux désiraient, et dont tous deux n'attendaient rien de plus. Ils avaient voulu échapper à ces dilemmes jamais surmontés et aux inutiles demandes de choix, jamais abouties. Aux oubliettes l'expectative d'une vie un jour partagée, bien illusoire. Seulement la fleur de l'instant présent, quelque peu volé, mais furieusement passionné. Au début, en tout cas....
Tout s'achèverait ce soir. Sa vie allait continuer, mais sans lui. Comme tout être humain doué de raison arrivé à un point de non retour, elle s'était décidée à abandonner un caprice trop longtemps assouvi, comme malade d'avoir été trop ivre des moments soulagés. Une vie de débauche jouait ses dernières notes, après qu'elle eut été excessivement possédée par ses penchants lors de l'exécution de la mélodie qu'avait été sa vie. Nulle mélancolie : son mal du siècle allait passer. Nulle honte : sa faute avait été orchestrée à la clarté hâve de l'ombre. Nul remord, sinon celui d'avoir agi contre le bien d'une femme si bienveillante à son égard. Dans sa pénitence, chaque bribe de son être aura à sa façon un moyen de s'amender. Elle porte en elle sa repentance, il lui suffit d'en ériger la première pierre à la force de son âme.
Une autre qu'elle, une femme dénuée de cœur, ou possédée par un démon vengeur, aurait suivi une voie différente. Un dilemme avait pourtant envahi l'esprit d'Audrey, telle une valse effrénée. Avec la connaissance qu'elle avait de la tendance adultérine de cet homme, elle avait eu dans l'idée de protéger sa femme, même si elle devait par là endosser le lourd blason de la vile maîtresse – et donc la meurtrir. Bien des nuits blanches, outre celles partagées avec son mari, avaient été occupées à cette pensée, à cette action future, dévastatrice mais salvatrice, dont le projet l'habite maintenant. Bien des opinions contraires avaient débattu en son esprit, dans les moments les plus fortuits, l'occupant à ce point qu'elle n'arrivait plus à danser convenablement tant que durait le conflit intérieur.
Et finalement, peut-être par lâcheté, peut-être par crainte des conséquences qui lui seraient défavorables, elle avait décidé de rester muette, de ne pas avouer les choses qui lui pesaient sur le cœur. Cette décision, irrévocable dès que le moment aurait été choisi, aurait l'avantage de laisser cette femme si pure, vierge de la souillure jonchant tout son être. Audrey avait choisi cette alternative non pas pour protéger l'homme qu'elle avait désiré et qu'elle aimait – car elle l'aimait, malgré ce dégoût présent – mais pour le bonheur de sa femme. Voir une maitresse se soucier de la femme de son amant, quelle absurdité ! Tant de temps passé sans s'en occuper, sans daigner avoir une pensée pour cette pauvre femme pour finalement quitter cet homme, garder le silence pour ne pas la faire souffrir...
Il fallait bien l'avouer : elle était venue seulement pour lui, pour l'observer une dernière fois, invisible à ses yeux qui connaissaient chaque bribe de son corps.
Remise du vertige dont elle avait été victime, elle se leva de son siège avant même la fin du ballet, une lettre à la main. Certains imputèrent le départ de cette femme en vert à une insatisfaction au sujet du ballet. D'autres ne se rendirent même pas compte de son départ, tel Søren Abaelard, trop absorbé par son œuvre.
Sa blonde voisine de rangée eut juste le temps d'apercevoir les derniers pas des escarpins verts qui atteignaient avec peine la porte au grincement imperceptible. Une démarche aussi assurée passait difficilement inaperçue, surtout pour une Abaelard certes bafouée, mais en aucune manière aveugle face à tout ce qui l'entoure, à tout ce qu'on cherche à lui cacher... Si vous êtes à la recherche d'une âme candide, faîtes preuve de méfiance : son enveloppe n'est pas forcément du même timbre que l'âme qui l'habite.
Par delà la porte, Audrey se tenait donc là, immobile. En quittant la salle aussi subitement, elle avait répondu à l'impulsivité du moment, sans bien réaliser que ce qui l'attendait au dehors, c'était sa propre solitude. Parvenue à la croisée des chemins, un soudain doute l'accablait. A quoi bon changer ? Ne serait-ce pas plus simple de... Et si finalement elle...
A la fois ici et ailleurs, elle avançait sans but, à l'aveuglette, retenue tout doucement par les fils d'un marionnettiste. Ses pas frôlaient le sol, mais sans son consentement. Bien des années plus tard, Audrey essaiera de se souvenir de cet instant précis de sa vie, sans succès. Un trou noir, sans début ni fin, l'oubli. Vraiment ? Sa mémoire s'était pourtant rendu accessible à un souvenir, un seul, subit : la volée de marches descendues, presque machinalement, formant un escalier à vis. Avait-elle trébuché ? Avait-elle croisé du monde ? Nulle certitude avait pu y répondre. Pourquoi donc ce souvenir-ci, plus qu'un autre ? Les escaliers avaient un
je-ne-sais-quoi qui l'attirait. En était-ce la raison ?
L'air libre, la fraicheur du soir, qui caressaient ses mollets, mirent fin à sa torpeur. Comme réveillée après un long sommeil, Audrey abandonna ses doutes derrière elle, à l'intérieur du théâtre, afin de mieux s'élancer sur le trottoir. Vaincue par le froid, elle enfila sur ses épaules, d'un geste théâtral, le manteau noir en taffetas qu'il lui avait offert. S'en séparer, elle y avait pensé... avant de renoncer à cet abandon, comme satisfaite d'avoir entre ses mains une vraie relique.
Une vie nouvelle l'attendait et la lettre qu'elle tenait en main en était les fondations. Ce billet griffonné n'était ni plus ni moins qu'une lettre de rupture, semblable à mille autres, quoique différente en un point : Audrey était vierge en la matière. Écrire cet enfantillage l'avait fait bien rire. Ses incontrôlables fous rires avaient été causés non par le sujet abordé – on était loin de la franche rigolade – mais plutôt par sa propre attitude.
Elle avait d'abord passé le cap de l'étonnement, celui d'avoir choisi ce procédé – n'avait-elle pas passé l'âge, franchement ? Oh, bien sûr, elle n'avait rien contre ces personnes qui préféraient les raccourcis plutôt que les chemins sans détours, vraiment. Toutefois, grâce au Ciel ! Elle n'en faisait pas partie !
Raté.
L'étonnement digéré, il avait fallu ensuite se rassurer – bref, mentir à soi-même. C'était sincèrement la démarche à suivre, la meilleure ! Elle n'était pas lâche... seulement, le sujet était si ardu, si difficile, si délicat à aborder ! Dans d'autres circonstances, avec une autre personne, bien sûr qu'elle aurait agi autrement ! Sans compter que c'était plus qu'une rupture, bien plus qu'une rupture... Autrement, il l'aurait retenue, et elle ne voulait pas, non elle ne voulait pas ! Et puis, finalement, leur liaison était particulière et sa fin se devait de l'être aussi...
Ces deux stades passés, la phase d'écriture avait
tenté d'être lancée. Comme toute première fois, Audrey avait veillé aux moindres détails : le choix du papier, de l'encre, les lettres rectilignes sur l'enveloppe, tout avait été réalisé avec soin. Elle riait déjà de ses niaiseries, qu'elles faisait sans pouvoir s'en empêcher, comme si l'exécution de ces rites étaient inscrits en elle, en toutes celles et ceux – pourquoi pas – qui avaient écrit, qui écrivaient et qui écriraient ce genre de lettre. Comme les autres, elle avait passé du temps à trouver la formule pour l'introduire et finalement trancher, par élimination, toujours. Ce cliché qu'elle vivait de l'intérieur, comme enfermée, lui était à la fois pénible et, aussi étrange que cela puisse paraître pour un esprit comme le sien,
agréable. Ses oreilles percevaient presque au même moment les mots prononcés par ces femmes et ces hommes qui l'avaient précédée, semblables aux siens...
Tout avait été plus facile ensuite. Les mots venaient, comme soufflés de nulle part. Certes, elle avait ressassé sans relâche ce qu'elle devait exactement dire ou ne pas dire, mais, force est de constater que, pour une première fois, tout avait glissé au mieux. La fin, bien sûr, avait posé problème.. Comment une néophyte devait-elle clôturer une lettre qui mettait fin à une liaison adultère ? Fallait-il y mettre les formes ? Au contraire, devait-on être ferme ? Sa plume était restée en suspens un long moment avant de trouver la forme adéquate, l'unique formule.
La lettre pour Søren était toujours entre ses mains au moment où Audrey foulait de ses escarpins le macadam du trottoir.. A l'abri sous la lumière des réverbères, elle marchait d'un pas décidé, en sachant cette fois-ci exactement où elle allait. Elle avait bien sûr hésité pour ne pas dire tergiversé avant d'élire l'endroit approprié, ou plutôt avant qu'il ne l'aide, sans le savoir, dans ce choix.
Il avait été prévu de se voir le lendemain matin,
là-bas. Cet endroit n'avait rien de comparable avec une chambre d'hôtel miteuse, en somme un lieu particulièrement adapté pour ce genre de rendez-vous. Cet appartement était singulier, choisi non avec amour – Søren en était l'acheteur – mais avec soin. C'était pour ainsi dire un autre caprice, puisque les amants n'y séjournaient que pour le peu de temps dont ils avaient besoin. Audrey aimait tout de même y aller, sans lui, juste pour le plaisir, par caprice aussi. Et désormais, c'était la dernière fois qu'elle y allait, qu'elle était dans cette rue, leur rue, une rue quelconque désormais.
Elle était devant la porte. C'est du bout des doigts qu'elle attrapa le trousseau de clé que son ancien amant – était-ce trop précoce pour le dire ? – lui avait donné après leur première fois dans cet appartement.. La porte claqua. C'est en traversant le hall qu'elle se rendit compte que tout ce qu'elle avait sur elle, tout le temps, avait un lien avec lui : ce manteau, ces clés, cette lettre... Peut-être pas sa robe. Si, finalement, sa robe aussi. Søren était comme profondément imprégné dans sa chair, tel un parfum trop tenace pour s'évaporer.
Elle montait les escaliers d'un pas lent, sans se presser, savourant marche après marche comme elle l'aurait fait pour chaque bouchée d'un gâteau à la fraise. Elle ne voulait pas brusquer les choses. L'extrême langueur de cet instant lui donnait le loisir de ravir le silence de ce lieu, altéré par les talons de ses escarpins. Clap. Clap. Clap. Au moment de s'en aller, elle irait bien plus vite, dévalant à toute vitesse les deux étages qui la séparait de la sortie. Elle partirait pour ne plus jamais entendre le silence de leur cage d'escalier.
La voilà enfin sur les lieux. La pendule sonna onze coups. Elle était en avance, comme toujours. Le parquet grinçait sous elle à mesure qu'elle avançait, lentement, vers une pièce baignée par la lumière des réverbères : la chambre à coucher. Bien sûr, c'était la pièce qu'elle connaissait le mieux, celle du prologue des premiers jours et de l'épilogue ce soir. Des roses jaunes égayaient cette alcôve, comme l'unique témoignage d'une touche de niaiserie en Audrey.
Elle n'était déjà plus là, mais sa lettre; bien centrée, épousait la forme des draps.
Au 7, rue Saint-Preux, Søren était déjà là, comme convenu. L'écho du silence avait répondu à l'engouement de ses appels. Une réponse, bien différente, l'attendait, blottie sur le lit :
« Søren,(simple et succinct)
J'imagine d'ici ta déception de trouver à ma place ce billet, griffonné avec hâte, (évidemment...)
et la comprends. Ai-je un empêchement ? Tu préférerais peut-être que cela soit le cas, cela te rassurerait. Mais il n'en est rien, j'en suis désolée. (formule consacrée, touche d'hypocrisie dissimulée ?)
Évidemment, tu t'en es surement rendu compte (en tout cas, maintenant, c'est sûr
), cette lettre n'est pas destinée à te dire « Je reviens dans une minute, mets toi à l'aise ». Au contraire, elle a un caractère un tantinet solennel puisque je ne reviendrai pas dans une minute, même pas dans une heure. J'aurais voulu te le dire différemment (phase 1, l'étonnement, phase 2...)
: en tête à tête, un (plusieurs, l'un après l'autre)
verre de glögg à la main, pour rendre le moment plus facile à souffrir. J'en suis malheureusement incapable (mais je ne suis pas lâche...)
.
Tu savais, tout comme moi, que notre liaison ne rimait à rien, si ce n'est de nous enliser un peu plus vers un chemin sans avenir. Je n'ai toutefois en moi aucun regret (non, rien de rien, non... ),
si ce n'est celui d'avoir agi en enfant, par caprice. J'y ai – si je puis dire – pris du plaisir, n'est-ce-pas l'essentiel ? J'aurai pu, bien sûr, comme toute maîtresse qui se respecte, te demander de la quitter. Mais qui suis-je pour faire cela ? De toute façon, cet ultimatum ne se serait peut-être traduit que par de la haine à mon égard. D'ailleurs, en ce moment, tu dois déjà être en train de me haïr. J'y consens, et prends le mal sur moi.
A moi de me justifier (un peu bancal, mais il faudra s'en contenter).
Vois-tu, trois raisons s'offrent à moi. Il te suffira de relire le paragraphe précédent pour comprendre la première raison. Cela te suffit peut-être, de vivre ainsi dans l'ombre, exalté par le danger d'être surpris, mais moi, cette situation m'est devenue insupportable (certes grandiloquent en un sens ; tant pis.).
Cet état stagnant à l'ombre de la lumière ne me satisfait plus ; alors, j'abandonne officiellement ce caprice (et toi avec...).
La deuxième raison est incarnée par ta femme. Elle ne mérite pas ce qui lui arrive, et j'ose le dire, tu ne la mérites pas (là, c'est sûr, il me déteste).
Je suis aussi coupable que toi, si ce n'est plus, mais je préfère me repentir plutôt que de m'égarer là où je ne devrais pas être. N'y vois là aucune grandeur d'âme, mais seulement une prise de conscience : celle de s'être trompée.
Inexorablement, l'on arrive à la troisième raison. Tout discours plus en amont n'était que le prélude à cet instant. J'ai compris, de manière abrupte, que nous sommes allés trop loin. Les conséquences étaient à prévoir, mais nous avons été intentionnellement aveugles. Pourquoi faut-il comprendre ses fautes trop tard ? Je suis maintenant sûre de ce que j'avance, sans quoi je te l'aurai dit avant. Il est encore minuscule, et pourtant, un Abaelard, un bâtard (que ce mot est ignoble !),
sera bientôt là. Là encore, je n'ai aucun regret, si ce n'est celui de le condamner à vivre sans père (trop larmoyant ; tant pis).
Je ne te demande rien, rassure-toi. J'espère être meilleure mère qu'amoureuse.
Même si tu en avais les moyens, ne me retiens pas, ne reviens-pas vers moi. Oublie-moi.
Et, adieu.
Audrey (tout simplement).
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