Pantatextes
Publié : 12 juil. 2008, 18:51
par Pantalaemon
Voilà, j'voulais ouvrir un topic pour mettre autre chose que des poèmes (le marché est saturé en ce moment ^^). J'vais donc publier ici des trucs (comment les qualifier autrements ?) que j'écris : nouvelles, essais sur des ambiances...
Et je vais commencer de suite avec ce petit policier, écrit il y a deux ans. Vos commentaires sont les biens venus, quels qu'ils soient.
Sous spoiler pour éviter de prendre trop de place. Bonne lecture à ceux qui se risqueront à lire.
Et je vais commencer de suite avec ce petit policier, écrit il y a deux ans. Vos commentaires sont les biens venus, quels qu'ils soient.
Sous spoiler pour éviter de prendre trop de place. Bonne lecture à ceux qui se risqueront à lire.
Spoiler (cliquez pour révéler) : Vendredi soir, Chicago. La fête battait son plein dans le hall de la mairie. Une fête en mon honneur, une fête pour moi : inspecteur John Clarcke. Une fête d’adieu. J’étais enfin muté à San Francisco. Mes plus grands amis, ainsi que les hommes les plus influents de la ville, étaient là. Dans un coin, une télévision diffusait en direct un match de boxe. Ce n’était pas un match important en soi, ce n’était qu’une exhibition qui opposait le futur prétendant au titre de champion de la ville, Edouard Lewin, à un inconnu ; mais le champion actuel de la ville était dans la salle et il étudiait la tactique de son futur adversaire.
Ce champion, c’était mon grand ami, Maurice Right. Nous nous étions connus au collège et depuis, nous ne nous quittions plus.
En d’autres circonstances, il aurait suivi le match attentivement, commentant chaque faits et gestes des combattants, mais là, il était inquiet : sa femme n’était toujours pas arrivée à la soirée à laquelle elle était sensée assister. Son oeil allait donc de l’écran à la porte à tambour, puis de la porte à tambour à l’écran.
Je doute même qu’il ait entendu les discours. Je ne lui en ai pas voulu cependant, il n’avait rien raté d’important. Je m’arrangeai même pour qu’on oublie que lui aussi devait, en principe, discourir.
Suite aux témoignages de félicitations, dont la moitié m’étaient adressés par des gens que je n’avais croisés qu’une fois, et auxquels j’avais dit deux mots, je m’installai au côté de Maurice qui s’énervait à la fois sur son match et sur sa femme :
« Mais qu’est-ce qu’elle fait ? Et lui, tu as vu sa technique ? Je ne le battrai jamais. Son entraîneur va se faire un pognon dingue. Et ma femme qui n’est pas encore là. »
« Ne t’énerve pas, elle va arriver. De toute façon, elle n’a pas besoin de voir le match pour savoir que tu vas te faire écraser par The Kong »
The Kong, c’était le surnom de ce fameux Edouard Lewin. Un inconnu qui du jour au lendemain avait trouvé un bon entraîneur et avait massacré tous les plus prestigieux boxeurs de la ville. J’avais dit ça pour plaisanter mais Maurice le prit au premier degré :
« Effectivement, je lui répète assez souvent que je vais me faire écraser… Ce n’est pas possible, ce type encaisse les coups comme si de rien n’était ! »
Le match s’était clôturé en trois rounds ; The Kong l’avait gagné sans mal. Il était maintenant près de minuit, et toujours pas de Mme Right à l’horizon. Maurice et moi discutions près du poste de télé, désormais éteint, lorsque la porte s’ouvrit dans un grand fracas.
« Inspecteur Clarcke ! Il faut que vous veniez, un homme a été tué à deux rues d’ici. »
Ce type qui venait de rentrer était un jeune agent de police tout boutonneux que je ne connaissais pas ; mais je le classai immédiatement dans la catégorie « crétin ». Pourquoi ? Parce qu’il venait de gueuler dans un hall qui résonnait monstrueusement et que chacun avait entendu ce qu’il venait de dire. Moi qui aimais enquêter dans la discrétion ; c’était foutu.
Tous les visages se tournèrent vers moi tandis que j’enfilais mon manteau et que je sortais en courant, laissant le soin à Maurice de calmer la foule et de mettre fin à la soirée. Je croisai Mme Right qui arrivait tout juste, la saluai en lui faisant un baise main et repartis aussi vite.
« Bien, demandais-je tout en courant au jeune flic, qui a été tué ? »
« Edouard Lewin, c’était un boxeur de vingt-quatre ans qui venait de disputer… »
Je le coupai sèchement. Pas besoin de plus d’informations, je savais qui était Lewin.
Quelle merde, moi qui pensais partir peinard !
Des milliers d’hypothèses m’assaillaient déjà, plus terribles les unes que les autres.
Courir, ne pas penser, courir, arriver tant que le corps est encore chaud et qu’il reste des preuves plus ou moins évidentes.
Le policier me conduisit dans une petite ruelle étroite. À gauche, une benne à ordure, à droite une porte portant l’inscription « exit only » et, appuyé sur le mur du cul-de-sac, le corps. Il était là, à me regarder avec une expression horrifiée figée à jamais sur son visage. Seul un petit trou dans son cou, d’où avait jaillit du sang désormais sec, prouvait qu’il n’était pas mort d’un arrêt cardiaque suite à un trop gros effort. Et puis, j’avais vu le match, et il ne s’était pas fatigué pour un sou. Non, il s’agissait bien d’un meurtre. D’ailleurs, ça sentait la poudre à plein nez.
« Qui l’a retrouvé ? »
« Le concierge. Il venait de nettoyer les vestiaires après le match et il sortait pour jeter les ordures. »
« Fouillez son bureau à la recherche d’un 6 coups 9 millimètres auquel il manquerait une balle. »
Avant que le flic ait posé la moindre question, je désignai une douille sur le sol.
Il comprit et partit appeler des renforts. Mais il revint vite.
« On devrait pas aussi demander un mandat pour la fouille de la conciergerie ? »
« JE donne les ordres ! Et, s’il le faut, je vais fouiller moi-même, sans mandat ! Je suis un peu pressé, j’ai un avion pour San Francisco demain soir, alors, pas question de lambiner avec le protocole ! »
Il repartit immédiatement vers la cabine téléphonique la plus proche, sans poser d’autres questions. Les jeunes…
Bon, mon cadavre maintenant : encore chaud, pas de traces de coups. On a tiré et on est parti assez vite, et ça s’est passé entre la fin du match et la fin du nettoyage.
Je rentrai par la porte « exit only ». Le concierge était dans les vestiaire, tremblant, blanc comme un linge. C’était un homme, pas tout jeune, mais il ne devait pas avoir plus de cinquante-cinq ans.
« Vers quelle heure avez–vous découvert le cadavre ? » demandais-je sans préambule.
« Vers… minuit. » répondit-il d’une voix hésitante.
« Je vais devoir inspecter votre bureau. Pas que je vous crois coupable, simple question de précaution. »
Il hocha la tête sans me regarder puis il s’effondra en sanglots. Trop de stress, pauvre homme. La fouille de son bureau ne donna rien. En dehors de quelques revues pornographiques, d’une photo d’une jeune femme qui devait être sa fille et de son matériel de nettoyage, l’homme ne gardait rien sur son lieu de travail, qu’il n’avait pu quitter après le meurtre. Pour moi, il était évident qu’il n’était pas coupable mais je n’avais aucune preuve pour le disculper non plus.
Je revins auprès de lui.
« Avez-vous entendu un bruit suspect, cette nuit, entre minuit et vingt-trois heures quart ? »
« N… non. » et c’était un « non » catégorique.
Je conseillai à l’homme de rentrer chez lui et de se reposer. Si on avait besoin de lui, on viendrait le chercher. Je sortis des vestiaires. Dehors, la nuit glaciale d’hiver avait figé le corps mieux que n’importe quoi. Pourvu qu’il ne se mette pas à neiger.
Plus aucun son dans le quartier, il est vrai qu’il était une heure et demie du matin et que la boîte de nuit la plus proche était à plusieurs kilomètres.
Si seulement les morts pouvaient parler. Mais non, ça, c’était mon rôle : faire parler le cadavre. J’entendis enfin la sirène d’une voiture de police. Elle s’arrêta juste à l’entrée de l’impasse. Quatre de mes collègues en sortirent.
Je voulais dormir mais je ne pouvais pas. Demain, demain tu dormiras dans l’avion, John. Ma dernière affaire, il fallait que je me la fasse.
« O.K. les gars, vous faites les photos, vous bouclez la salle et la ruelle, je ne veux voir personne dans ce périmètre avant mon départ demain ! »
À peine étaient-ils partis que j’entamai l’enquête à proprement parler. Pour commencer, j’ouvris la benne à ordure. Des bouteilles d’eau, de bière, des pansements, des bandages de protection comme s’en mettent les boxeurs sous leurs gants, des seringues, des protège-dents cassés, des dents cassées et bien d’autres choses encore. Il y avait même un faux ongle verni en rouge sang.
Ce qui attira mon attention, ce fut un des bandages de protection : il était blanc avec de nombreuses traces noires. Je le saisis délicatement et le respirai. Pouah ! Ça puait la poudre !
Ingénieux, le tueur avait dû s’en servir pour ne pas laisser d’empreintes sur l’arme du crime. Il y a des milliers d’armes qui circulent à Chicago et, la plus populaire, est sûrement ce petit 6 coups à planquer dans son bureau en cas de besoin (qui n’a jamais servi et qui, donc, ne porte quasi pas d’empreintes).
Deux heures, et mon enquête n’avance pas beaucoup, c’est vraiment un maigre indice.
Il confirme juste une de mes hypothèses : le coupable fréquente le monde de la boxe.
Et si c’était l’entraîneur de Maurice qui avait fait le coup, pour que son champion garde le titre ? Ça se tient.
Je lui téléphone ? Ce n’est pas une heure… Oui mais c’est une enquête policière de la plus haute importance, qui le concerne au premier plan. Je lui téléphone.
La cabine téléphonique du coin de la rue est fort endommagée, quelques tags de-ci de-là ; mais le combiné fonctionne encore. J’introduis une pièce et j’attends.
Une sonnerie, deux sonneries, trois, quatre…
Voix ensommeillée, masculine et rude : « Hallo ? »
« Bonjour, inspecteur Clarcke de la police criminelle de Chicago. »
« Je n’ai rien… c’est à quel sujet ? »
« Où étiez-vous entre vingt-trois heures et minuit ? »
« Euh… Chez l’entraîneur de M. Edouard Lewin, nous discutions des modalités pour la finale. Pourquoi ? Il y a un problème ? »
« Je suis dans l’obligation de vous dire que… »
Le téléphone se coupa avant que je n’aie fini ma phrase et une voix, féminine et douce cette fois-ci, me déclara que je devais insérer une nouvelle pièce pour poursuivre la conversation. Inutile, j’en savais assez. Je raccrochai et j’insérai cependant une nouvelle pièce pour téléphoner à l’entraîneur de Lewin. Après lui avoir brièvement résumé les événements, je lui demandai de confirmer les dires de l’autre entraîneur, ce qu’il fit sur le champ. À moins qu’il ne s’agisse d’un coup monté, ils avaient tous deux un alibi inébranlable. Je me demande en plus pourquoi l’entraîneur de Lewin aurait voulu le tuer, comme le disait Maurice : « Son entraîneur va se faire un pognon dingue. »
Il ne me restait qu’un suspect. Mais je n’y croyais pas trop… Maurice ne pouvait avoir commis le crime, il avait passé toute la soirée avec moi.
J’avais peut-être renvoyé le concierge chez lui un peu trop vite ?
Je retournai près du corps. Pourquoi cette stupeur figée sur son visage ? Il est vrai qu’on s’attend rarement à recevoir une balle dans le cou après avoir remporté une brillante victoire. Tiens, je n’avais pas noté que ses vêtements sentaient la cigarette froide. Lewin fumait-il ? Ah, oui, la cigarette était à son pied. Une marque rare, qui coûte cher, directement importée d’Egypte d’après l’inscription sur le papier à moitié consumé.
Il n’y avait plus rien à apprendre ici… Le concierge était probablement notre homme. Quel était son mobile ? L’argent peut-être ? Il faudrait alors trouver le commanditaire.
Lewin le traitait-il mal ? En ce cas, ce serait la vengeance. Oui, c’était fort possible.
Je repartis chercher ma voiture et rentrai chez moi. Je ne croyais qu’à moitié à ma théorie du nettoyeur coupable mais je devais dormir. Demain, il serait arrêté à son domicile, on l’interrogerait. S’il niait, je ne serais pas là, ni pour l’appuyer, ni pour le contredire. Je serais parti. Ce serait soit le meurtre que j’aurais résolu le plus rapidement, soit ma seule et unique bavure. En tous cas, ce serait un record.
Je m’allongeai dans mon lit sans prendre le temps de me déshabiller ; j’avais sommeil.
Samedi. Il est midi. Dans une heure, je pars pour l’aéroport, direction San Francisco. Mais d‘abord, je dois passer chez Maurice, lui dire une dernière fois « au revoir ».
Il habite une belle petite maison victorienne, le cadre idéal pour méditer avant un match, d’après lui.
À peine ai-je sonné que Mme. Right m’ouvre. Avec son sourire de top model et sa voix divine, elle m’invite à entrer. Maurice est là, lisant le journal dans son fauteuil en cuir favori. La photo du corps de Lewin s’étale en première page avec pour titre : Une mort victorieuse.
« Tu as fait arrêter le coupable, John ? » m’interroge Maurice.
« J’espère. »
Nous restâmes silencieux. Sur la table, dans un cendrier une cigarette d’origine égyptienne se consumait lentement. Comment savais-je que cette cigarette était égyptienne ? Je reconnaissais le signe sur le côté.
« Tu fumes, Maurice ? »
« Non, c’est ma femme. Elle me coûte un pont avec ses cigarettes de luxe. »
J’acquiesçai. Sa femme, elle avait laissé traîner sa cigarette et ses neuf faux ongles.
Neuf ? Un, deux trois, quatre, cinq… Neuf !
Mais oui ! Hier, quand je lui avais fait le baise main, elle m’avait tendu la main droite alors qu’elle était gauchère. Et c’était dans le but de me dissimuler la perte de son faux ongle. Et, dans la benne face à la sortie des vestiaires du stadium, il y avait un faux ongle, rouge, comme ceux-ci.
« Depuis quand ta femme a perdu un faux ongle ? »
« Hier soir. C’est pour ça qu’elle n’est pas arrivée à la soirée : elle en cherchait un nouveau. »
Merde… le crime avait été commis pour empêcher Maurice de se faire amocher. Ce n’était pas un crime contre Lewin mais un crime pour Maurice.
« Maurice, tu as un 9 millimètres dans ton bureau ? »
« Oui, comme de nombreuses personnes qui ont un peu d’argent et qui craignent pour eux et leur famille. Pourquoi ? »
Je le regardai indécis… fallait-il le lui dire ? C’était mon devoir de flic et d’ami.
« Maurice, je suis désolé… »
« Moi aussi. » dit une voix féminine, brisée par des sanglots.
Pitié, qu’elle ne l’ait pas en main…
Je me tournai.
Cette voix, ce regard, cette détresse, cette intonation… Cette détonation…
Fin.