| - Je peux m'asseoir ?
- Naturellement, naturellement, dit Doge ; il avait une voix plutôt aiguë et haletante.
Harry s’installa.
- M. Doge, je suis Harry Potter.
Doge eut le souffle coupé un instant.
- Mon cher garçon ! Arthur m'a dit que vous étiez ici, déguisé…. Je suis si heureux, si honoré !
Dans un accès du plaisir empressé, Doge versa à Harry un gobelet de champagne.
- J'ai pensé à vous écrire, chuchota-t-il, après que Dumbledore… le choc… pour vous aussi, je suis sûr…
Les tout petits yeux de Doge se remplirent de larmes soudainement.
- J'ai vu la nécrologie que vous avez écrite pour la Gazette du Sorcier, dit Harry. Je ne savais que vous connaissiez aussi bien le professeur Dumbledore.
- Aussi bien que n'importe qui, dit Doge qui se tamponnait les yeux avec une serviette. Je suis certainement celui qui l'a connu le plus longtemps, si on ne compte pas Aberforth… et de toute façon, les gens ne semblent jamais compter Aberforth.
- À propos de la Gazette du Sorcier, je ne sais pas, M. Doge, si vous avez vu…?
- Oh, je vous en prie, appelez-moi Elphias, mon cher garçon.
- Elphias, je ne sais pas si vous avez vu l’interview de Rita Skeeter au sujet de Dumbledore ?
Le visage de Doge s’empourpra de colère.
- Oh oui, Harry, je l'ai vue. Cette femme, quoique « vautour » serait plus approprié, m'a littéralement harcelé pour que je lui parle. J'ai honte de dire que j’ai cédé à la grossièreté, je l’ai traitée de sangsue fouineuse, ce qui m’a valu, comme vous l’avez peut-être vu, quelques assertions médisantes sur ma santé mentale.
- Donc, dans cette interview, continua Harry, Rita Skeeter a laissé entendre que Dumbledore s’est compromis dans la Magie Noire quand il était jeune.
- Ne croyez pas un mot de ça ! dit Doge immédiatement. Pas un mot, Harry ! Ne laissez rien ternir vos souvenirs d'Albus Dumbledore !
Harry scruta le visage sincère et douloureux de Doge. Il ne se sentit pas rassuré mais frustré. Est-ce que Doge croyait vraiment que c’était si simple, qu’il suffisait à Harry de simplement choisir de ne pas croire ? Doge ne comprenait-il pas que Harry avait besoin d'être sûr, de savoir tout ?
Peut-être que Doge devina les sentiments de Harry parce qu’il parut inquiet et s’empressa de poursuivre :
- Harry, Rita Skeeter est une redoutable… Mais il fut interrompu par un caquètement aigu.
- Rita Skeeter ? Ah, je l'aime, je lis toujours ce qu’elle écrit !
Harry et Doge levèrent les yeux et virent tante Muriel qui se tenait devant eux, les plumes dansant sur son chapeau, un gobelet de champagne à la main. Elle a écrit un livre sur Dumbledore, vous savez !
- Bonjour, Muriel, dit Doge, oui, nous en discutions, justement…
- Toi là ! Donne-moi ta chaise, j'ai cent sept ans !
Un autre cousin Weasley, rouquin, sauta de sa chaise, alarmé, et tante Muriel la saisit et l’approcha de la table et s’affala dessus, entre Doge et Harry.
- Rebonjour, Barry ou je ne sais plus quoi, dit-elle à Harry. Alors, qu’étiez-vous en train de dire sur Rita Skeeter, Elphias ? Vous savez qu'elle a écrit une biographie de Dumbledore ? Je n’en peux plus d’attendre pour la lire. Je dois me rappeler de passer commande à Fleury & Bott !
Doge la regarda, raide et solennel, mais tante Muriel finit son gobelet d’un seul trait et interpella un serveur d’un claquement de ses doigts osseux pour qu’il lui en amène un autre. Elle avala de nouveau une copieuse lampée de champagne, rota puis dit :
- Il n’y a pas de quoi prendre cet air de grenouilles guindées, vous deux ! Avant qu'il ne devienne aussi respecté et respectable, il y avait quelques rumeurs sacrément savoureuses au sujet d'Albus !
- Des potins sans fondements, dit Doge qui virait rouge radis.
- C’est bien à vous de dire cela, Elphias, glapit-elle, j'ai bien remarqué que vous avez soigneusement évité les éléments scabreux dans votre nécrologie !
- Je suis désolé que vous pensiez cela... dit Doge, de plus en plus glacial. Je vous assure que j'ai écrit avec toute ma sincérité.
- Oh, nous savons tous que vous êtes un fidèle adorateur de Dumbledore ; j’oserais même dire que vous persisteriez à croire qu’il était un saint même s’il était révélé au grand jour qu'il s’est débarrassé de sa soeur Cracmol !
- Muriel ! s’indigna Doge.
Un froid qui n'avait rien à voir avec le champagne glacé traversa la poitrine de Harry.
- Qu'est-ce que vous voulez dire ? demanda-t-il à Muriel. Vous dites que sa sœur était Cracmol ? Je pensais qu'elle était malade ?
- Tu penses mal, Barry ! dit tante Muriel qui savourait l’effet qu’elle produisait. De toute façon, comment pourrais-tu t’attendre à tout savoir à son sujet ! Tout ça s'est produit des années et des années avant même que tu n’y songes, mon cher, et la vérité est que nous qui avons connu cette époque n'avons jamais su ce qui s'était vraiment produit. C'est pourquoi j’ai hâte de découvrir ce que Skeeter a déterré ! Dumbledore est resté trop longtemps silencieux au sujet de cette sœur !
- Faux ! dit Doge, respirant bruyamment. Absolument faux !
- Il ne m'a jamais dit que sa soeur était une Cracmol, dit Harry sans réfléchir, toujours glacé intérieurement.
- Et pourquoi, te l'aurait-il dit ? vociféra Muriel, elle oscilla un peu sur son siège pour essayer de se tourner face à Harry.
- La raison pour laquelle Albus n'a jamais parlé d’Ariana, commença Elphias d’une voix enrouée par l’émotion est, j’aurais cru, tout à fait clair. Il était anéanti par sa mort.
- Pourquoi personne ne l’a-t-il jamais vue, Elphias ? s’étrangla Muriel. Pourquoi la moitié d’entre nous n'a jamais été au courant de son existence jusqu'à ce qu’on ait porté son cercueil hors de la maison et qu’on ait procédé à son enterrement ? Où était Saint Albus pendant qu'Ariana était enfermée à clef à la cave ? Parti pour briller à Poudlard, ne se souciant jamais de ce qui se passait dans sa propre maison !
- Que voulez-vous dire par « enfermée à clef à la cave » ? demanda Harry. De quoi parlez-vous ?
Doge semblait misérable. Tante Muriel poursuivit son caquetage et répondit à Harry :
- La mère de Dumbledore était une femme terrifiante, tout simplement terrifiante. Elle était de naissance Moldue, même si j’ai entendu dire qu’elle prétendait le contraire.
- Elle n'a jamais rien prétendu de la sorte ! Kendra était une excellente femme, dit Doge, malheureux, dans un souffle. Mais tante Muriel l’ignora :
- orgueilleuse et très autoritaire, le genre de femme qui aurait été mortifiée de donner naissance à une Cracmol.
- Ariana n'était pas une Cracmol, dit Doge, le souffle court.
- C’est vous qui le dîtes, Elphias, mais expliquez-moi, alors, pourquoi elle n’est jamais allée à Poudlard, rétorqua Tante Muriel. Elle se tourna de nouveau vers Harry. De nos jours, les Cracmols sont souvent cachés. Mais de là à pousser les choses jusqu’à l’excès : tenir réellement prisonnière une petite fille et prétendre qu’elle n’existait pas…
- Je vous dis que ce n'est pas ce qu'il s'est passé ! dit Doge, mais Tante Muriel poursuivit sur sa lancée, s'adressant toujours à Harry.
- D'habitude les Cracmols sont envoyés dans des écoles de Moldus, et on les encourage à s'intégrer dans la société Moldue.... c'est mieux que d'essayer de leur trouver une place dans le monde magique, où ils seront toujours une classe inférieure ; mais naturellement Kendra Dumbledore ne voulait surtout pas envoyer sa fille dans une école de Moldus…
- Ariana était fragile ! dit Doge désespérément. Sa santé a toujours été trop fragile pour lui permettre de...
- .... de partir de la maison ? le coupa Tante Muriel de sa voix criarde. Et pourtant, elle n'a jamais été emmenée à Ste Mangouste et aucun guérisseur a jamais été appelé pour la soigner.
- Honnêtement, Muriel, comment pouvez-vous savoir si...
- Pour votre information, Elphias, mon cousin Lancelot était guérisseur à l’hôpital Ste Mangouste à cette époque, et il a dit à ma famille, dans la discrétion la plus stricte, qu’Ariana n'avait jamais été vue là bas. Un fait des plus suspects, pensait Lancelot!
Doge était au bord des larmes. Tante Muriel qui semblait s'amuser énormément, claqua des doigts pour obtenir davantage de champagne. Hébété, Harry pensa à la façon dont les Dursleys l'avait, par le passé, enfermé, emprisonné, maintenu à l’abri des regards pour le crime d'être un sorcier. La soeur de Dumbledore avait-elle souffert du même destin inversé : emprisonnée pour son manque de magie ? Et Dumbledore l'avait-il vraiment abandonnée à son destin tandis qu'il allait faire à Poudlard la preuve de sa grande intelligence et de ses talents?
- Maintenant, si Kendra n'était pas morte d'abord, reprit Muriel, j’aurais dit que c’est elle qui a achevée Ariana.
- Comment osez-vous, Muriel ! gémit Doge. Une mère tuant sa propre fille ? Réfléchissez à ce que vous dites !
- Si la mère en question était capable d'emprisonner sa fille pendant des années d’affilée, pourquoi pas ? dit Muriel, en haussant les épaules. Mais comme je disais, ça ne colle pas, car Kendra est morte avant Ariana… mais de quoi, cela, personne n'a jamais semblé le savoir avec certitude…
- Oh, aucun doute qu’Ariana l’a tuée, dit Doge dans une courageuse tentative de dérision. Pourquoi pas ?
- Oui, Ariana pourrait avoir fait une tentative désespérée pour se libérer et avoir tué Kendra dans la bataille, dit tante Muriel avec indulgence.
- Secouez la tête autant que vous voudrez, Elphias. Vous étiez à l'enterrement d'Ariana, n’est-ce pas ?
- Oui j'y étais, dit Doge, entre ses lèvres tremblantes. Et je ne peux pas me rappeler de circonstances plus tristes ni désespérantes. Albus avait le coeur brisé…
- Il n’y eut pas que son coeur. Alberforth ne lui a-t-il pas casser le nez à la moitié du service funèbre ?
Si Doge avait semblé horrifié avant, ce n'était rien comparé à maintenant. On aurait dit que Muriel l'avait poignardé. Elle caqueta bruyamment et avala une autre gorgée de champagne, qui ruissela le long de son menton.
- Comment pouvez-vous… ? coassa Doge.
- Ma mère était amie avec Bathilda Tourdesac, dit Tante Muriel joyeusement. Bathilda a raconté toute l’affaire à ma mère alors que j'écoutais à la porte. Une bagarre juste à côté d’un cercueil. D’après Bathilda, Aberforth a crié que c’était l’entièrement de la faute d’Albus si Ariana était morte puis il lui a mis son poing dans la figure. Selon Bathilda, Albus ne s'est pas même défendu, et c'est assez curieux en soi. Albus aurait pu détruire Aberforth dans un duel, les deux mains attachées dans le dos.
Muriel buvait encore de grandes gorgées de champagne. Le récit de ces vieux scandales semblait la réjouir autant qu'ils horrifiaient Doge. Harry ne savait pas quoi penser, que croire. Il voulait la vérité et pourtant tout ce que Doge faisait, c’était de bêler faiblement qu’Ariana était malade. Il avait peine à croire que Dumbledore ne serait pas intervenu si une telle cruauté s'était produit dans sa propre maison, mais il y avait assurément quelque chose de pas clair dans cette histoire.
- Et je te dirai autre chose, dit Muriel qui hoquetait en reposant son gobelet. Je pense que Bathilda a craché le morceau à Rita Skeeter. Toutes ces allusions, dans l’interview de Skeeter, à une source importante, proche des Dumbledore… Dieu sait qu’elle était là pendant toute l’affaire Ariana… et cela collerait !
- Bathilda ne parlerait jamais à Rita Skeeter ! murmura Doge.
- Bathilda Tourdesac ? dit Harry. L'auteur de Histoire de la magie ?
Le nom était imprimé sur la couverture d'un des manuels de Harry, qui, il fallait l’admettre, n’était un de ceux qu’il avait lu le plus attentivement.
- Oui, dit Doge, s’accrochant à la question de Harry comme un homme qui se noie à une bouée de sauvetage. Une historienne du monde de la magie très douée et une vieille amie d'Albus.
- Tout à fait gaga à présent, j'ai entendu dire, dit gaiement tante Muriel.
- Si c'est le cas, c’est encore plus déshonorant que Skeeter ait abusé d’elle, dit Doge. Et on ne peut pas ajouter foi à quoi qu’ait pu dire Bathilda !
- OH, il y a des moyens de raviver les souvenirs, et je suis sûre que Rita Skeeter les connaît tous, dit Tante Muriel. Mais même si Bathilda est complètement cinglée, je suis sûre qu'elle a gardé de vieilles photographies, voire même des lettres. Elle a connu les Dumbledore pendant des années…. Bon motif pour un voyage à Godric's Hollow, je me suis dit.
Harry, qui avait pris une chope de Bièraubeurre, s’étrangla. Doge le frappa dans le dos pendant que Harry toussait, regardant tante Muriel à travers ses larmes. Une fois qu'il retrouva l'usage de sa voix, il demanda :
- Bathilda Tourdesac vit à Godric's Hollow ?
- Oh oui, elle y est depuis toujours ! Les Dumbledore y ont emménagé après que Perceval a été emprisonné, et elle était leur voisine.
- Les Dumbledore vivait à Godric's Hollow ?
- Oui, Barry, c'est ce que je viens de dire, dit tante Muriel avec mauvaise humeur.
Harry se sentit soudain épuisé, vide. Jamais une fois, en six ans, Dumbledore ne lui avait dit qu'ils avaient vécu et perdu ceux qu'ils aimaient à Godric's Hollow. Pourquoi ? Lily et James étaient-ils enterrés près de la mère et de la soeur de Dumbledore ? Dumbledore avait-il visité leurs tombes, et peut-être pour le faire, avait-il marché près de celles de Lily et James? Et pas une fois il n’en avait parlé à Harry… n’avait jamais pris la peine de dire…
Et pourquoi c’était si important, Harry ne pouvait pas l'expliquer, même à lui-même, pourtant il le vivait comme une sorte de mensonge de ne pas lui avoir dit qu'ils avaient cet endroit et ces expériences en commun. Le regard fixe et perdu devant lui, il remarquait à peine ce qui se passait autour de lui, et ne se rendit pas compte que Hermione était apparue hors de la foule jusqu'à ce qu'elle ait tiré une chaise pour s’asseoir près de lui.
- Je ne peux pas danser plus, haleta-t-elle, ôtant une de ses chaussures et se frottant la plante du pied. Ron est parti chercher de la bièraubeurre. C'est curieux, je viens juste de voir Viktor tempêter contre le père de Luna, on aurait dit qu’ils se disputaient. Elle baissa la voix en le regardant attentivement.
- Harry, tu vas bien ?
Harry ne savait pas par où commencer, mais ça n’avait pas d’importance. Au même moment, quelque chose de grand et argenté tomba à travers la tente sur la piste de danse. Gracieux et lumineux, le lynx atterrit avec légèreté au milieu des danseurs. Les têtes se tournèrent, tandis que les plus proches de lui se figèrent, grotesques, au milieu de leur danse. Puis la bouche du Patronus s’ouvrit en grand, et il parla avec la voix forte, profonde et lente de Kingsley Shacklebolt:
- Le Ministère est tombé. Scrimgeour est mort. Ils arrivent. |