J'ai vu hier soir
Room 237, le film sur
Shining (il passe que dans très peu de salles, une seule à Lyon). En fait, ça n'a absolument rien d'un making-off : le documentaire est en gros composé d'interviews de fans du film qui en décortiquent un certain nombre de plans et d'éléments pour expliquer les théories qu'ils ont bâties à propos du sens de l’œuvre (parfois assez oufs : du style, Kubrick aurait caché des indices renvoyant à son implication dans le tournage par la NASA de fausses images de l'alunissage, et à la difficulté vécue d'avoir dû dissimuler cette vérité toute sa vie^^'). Je m'attendais à quelque chose de plus axé sur le problème de l'adaptation du roman par exemple, et c'est plutôt un bon point que le documentaire ne s'attarde guère là-dessus, car à mon avis ça n'est pas un débat plus intéressant que de savoir si Hitchcock n'a pas trop déformé le récit du livre dont il a tiré
Psychose (je ne dis pas du tout ça eu égard à la qualité du livre, au contraire, je pense juste que ce sont deux visions distinctes, incompatibles).
Bien que la plupart des spécialistes qui parlent aient tendance à surinterpréter les symboles du film, à les traiter de manière trop thématique, comme renvoyant systématiquement à une signification (un peu comme si en histoire de l'art, on continuait à égrainer religieusement les figures allégoriques présentes dans toute peinture de Rubens, en espérant qu'ayant identifié, grossi et déchiffré chacune d'elles, elles nous apprennent quelque chose sur les intentions profondes de celui-ci), et à vouloir absolument en tirer une interprétation qui semble s'apparenter pour eux à une espèce de mystère révélé ("en fait, Shining, ça parle... roulement de tambours... du GENOCIDE !"), et qui finit presque par trivialiser le propos du documentaire, la plupart de leurs analyses formelles sont intéressantes. Il y a une tonne de trucs qu'on ne voit pas, même en ayant regardé le film plusieurs fois. Ce qui m'a le plus marquée, c'est ce qu'ils expliquent de l'utilisation de l'espace, de ces raccords entre les plans et les lieux du film, qui créent d'énormes incohérences subliminales (la fenêtre impossible, le motif du tapis aux hexagones qui s'inverse d'un plan à l'autre...) et contribuent à créer dans l'inconscient du spectateur cette sensation d'enfermement labyrinthique, par exemple, ou encore l'impossibilité qu'on a d'appréhender l'hôtel de manière globale, et ses différentes pièces et couloirs dans leur continuité.
Et les théories des intervenants, malgré leur caractère un peu excentrique, valent la peinent d'être entendues : ça devient un peu ridicule, dès que le critique commence à trop tirer certains détails du film vers sa thèse, mais ça montre en même temps à quel point ce film est riche dans sa composition, ses détails, complexe dans les multiples réseaux qu'il met en place entre tous les éléments qui le constituent (visuels, sonores), dans les figures qu'il exploite à la fois plastiquement et symboliquement (le labyrinthe, le miroir...) .
Entre autres, ils passent quelques extraits d'une projection, simultanée, du film en sens normal, et du film déroulé à l'envers (les deux images sont superposées) : c'est dingue, déjà, la façon dont ça rend visuellement (c'est dû à la composition très travaillée des plans), et aussi comme certaines scènes semblent prendre du sens, une fois mises en miroir l'une de l'autre. Et au total, ça ne m'étonne pas que des gens qui ont étudié le film pendant une grande partie de leur vie soient devenus légèrement timbrés. Par ailleurs, quand ça n'allait pas trop loin, l'idée que
Shining explorerait la question du passé, de la façon dont le monde et la logique du rêve, donc de l'inconscient, trouvent des voies pour assimiler le passé, un passé qu'il paraîtrait parfois inconcevable de s'approprier (imaginaire d'un passé personnel mais aussi collectif, sur cette dernière hypothèse repose d'ailleurs l'une des thèses critiques exposées) ; aussi ce thème du "livre d'images", des visions, toutes les réflexions là-dessus étaient intéressantes, ouvrant autant de voies d'interprétation à une œuvre décidément fascinante.
Bref, c'est probablement plus dû au fait que ce film est génial qu'au documentaire à proprement parler (j'aurais préféré d'avantage d'analyses et moins d'extrapolations sur fond d'images d'archives de la seconde guerre mondiale), mais ça m'a encore convaincue que
Shining est une tuerie à tiroirs qui défie la compréhension, et donné envie de le revoir, encore.
Par contre, Lloyd le barman me fait toujours autant flipper, avec son éclairage par en dessous !