Je met le lien vers ce message dans le premier du topic.
V bis) Un esprit de basalte à l'ombre de la pluie.
Spoiler (cliquez pour révéler) : C’était mon dernier jour dans les landes de l’Irlande. Adossé à un vieux dolmen planté dans le sol pour l’éternité, je goûtais sur mon visage le martèlement de la pluie. Depuis deux heures, elle battait mon corps avec une douceur torrentielle et une froideur de couteau. La nature lavait à grandes eaux mon corps souillé par la mort, la fatigue et la magie et je savais que bientôt, bien trop tôt à mon goût, je retrouverais la sécheresse d’un monde sans pluie. L’herbe frétillait au rythme des gouttes et un monde de vie s’agitait comme un tapis, sur lequel je m’étalai, comme un émir sur ses soieries. Je pensai à Bali, et à la mort. Je commençais à l’aimer. Bali ou la mort ? J’avais honte d’admettre que les deux exerçaient sur moi une fascination maladive.
Lorsque j’étais entré dans les entrailles du Poséidon, j’avais vu des choses que mes mots avaient vaincues, mais qui aujourd’hui se retrouvaient impossible à décrire. J’avais vu des torrents de couleurs agressives tenter d’arracher les limbes de ma conscience et des choses sans fin avaient vrillé mon esprit. Combien de semaines, condensées en quelques heures, avais-je passé dans les entrailles caverneuses et incroyables de ce maelström de magie ? Qu’en sais-je et qu’importe.
J’avais finis par déboucher dans une toute petite pièce, une petite remise aux allures de simple bureau de travail. Un chevalet et quelques toiles peintes jouxtant un bureau plein de livres et de papiers griffonnés m’indiquaient que j’avais touché au but. Je m'étais assis sur le fauteuil et j’avais lu, comme dans un rêve, pendant une durée que je ne pourrais pas estimer, mais qui ressemblait à quelques minutes.
Et puis, dans un grincement de lumière, un craquement de bois et un pied botté, j’avais vu entrer l’homme que je cherchais. Il était sec et cassant comme une statue de sable vitrifiée, son visage émacié et creusé marquait sur lui le temps passé dans la glaciation des sommets montagneux. Je ne me souviens plus très bien de ce qui s’est raconté à ce moment-là, mais je sais qu’il m’a tout dit et qu’il n’a pas fallu longtemps pour qu’on en vienne aux baguettes.
Ça, par contre je m’en souviens bien, sûrement un relent de mon statut d’exécuteur : je n’oublie jamais un combat, ni un meurtre. Et il était coriace, le bougre. Pas bon, mais une vraie carne. Il m’a salement amoché le bras gauche sur un retour mal calculé de ma part. Je peux vous garantir que dans le petit bureau étriqué, ça donnait quelque chose, ce duel haut en maléfices.
Quand j’en ai eu fini avec lui, je n’étais pas très fier et pas de la première fraîcheur non plus. Je pense que c’était dû à ma faiblesse, mais tout est devenu encore plus flou à partir de ce moment-là. Par contre, ce dont je me souviens, c’est que c’est Bali qui m’a sorti du navire. C’est elle qui est venue, comme un ange des Indes, me tirer de ce rafiot puant. On eut dit que le bateau l’aimait, lui aussi, qu’il la laissait passer, qu’il lui obéissait presque. Elle m’a soigné et j’ai passé ma dernière nuit avec elle en l’aimant du même amour malsain que celui que j’éprouvais pour la mort. Sauf qu’elle, je ne l’avais jamais vraiment touchée.
Ensuite, après mon départ, brutal et sans un mot, tout se perd dans une série de banalités et de voyages à pleurer d’inintérêt.
Je savais où se trouvait le portrait, ou du moins je savais avec qui il avait été en contact pendant quelques temps. Je suivais sa trace, faite de gens bien portants qui s’étaient soudainement pendus, qui avaient succombé à des crises de folie, d’autres encore s’étaient jeté dans le vide, les plus résistants s’étaient seulement mutilés ou avaient sombré dans la démence.
Je rêvais de plus en plus souvent du tableau, et de sa cour des miracles névrosée. J’avais appris à ne plus en avoir peur. Je savais qu’il m’entendait, qu’il me possédait un peu plus chaque jour. Si je ne le trouvais pas rapidement, il me tuerait sans même avoir eu besoin de me parler…